Port-au-Prince, 14 août 2025 – Dans une annonce exclusive rapportée par Reuters, Erik Prince – ex-Blackwater, figure controversée de la sécurité privée et soutien majeur de Donald Trump – révèle un accord de dix ans avec le gouvernement haïtien. Il prévoit un déploiement massif de ses forces via Vectus Global afin de reconquérir les routes du pays sous contrôle gangstériste, avant d’installer un système de fiscalité aux frontières avec la République dominicaine.
Un plan ambitieux, mais lourd de questions
Prince affirme qu’en à peine un an, Vectus pourrait rétablir la liberté de circulation entre Port-au-Prince et Cap-Haïtien – un trajet de plusieurs centaines de kilomètres, désormais périlleux. Le contrat signé inclurait également une gestion de la collecte fiscale sur les importations frontalières, une source de revenus clé pour l’État, mais aujourd’hui complètement affaiblie.Reuters
Cette annonce constitue un tournant : des centaines de combattants spécialisés (snipers, experts en renseignements, communications), ainsi que des hélicoptères, drones, bateaux et autres moyens logistiques sont prêts à être déployés.
Contexte fragilisé : une Haïti sous pression
Le pays est en proie à une crise violente depuis début 2024, avec des gangs ayant évincé le gouvernement de facto et accaparé la capitale. Entre avril et juin 2025, plus de 1 500 morts ont été recensées, selon l’ONU. Plus d’un tiers des décès seraient dus à des frappes de drones gouvernementaux.
Les routes stratégiques et les frontières – notamment vers la République dominicaine – sont sous contrôle gangstériste, paralysant le commerce légitime et affaiblissant les revenus de l’État qui dépendait fortement des taxes aux frontières.
Analyse : risques et opportunités
Enjeu | Implication |
---|---|
Renforcement extrême | Vectus pourrait restaurer la sécurité, mais reste une force privée sans contrôle démocratique. |
Institution affaiblie | Le recours à des paramilitaires fragilise davantage les institutions nationales et la Mission multinationale MSS. |
Fiscalité externalisée | La responsabilité des recettes fiscales est confiée à un acteur privé, sans garantie de transparence. |
Réaction potentielle | Droits humains, dérive autoritaire, opacité financière font déjà craindre des dérives graves.(The Guardian) |
Stabilisation potentielle | Pour d’aucuns, cela offre un espoir de reprise, mais à quel prix pour la souveraineté ? |
Réactions et mises en garde
- Le département d’État américain affirme qu’il n’est pas impliqué dans ce contrat, démissionnant toute responsabilité officielle.
- Romain Le Cour Grandmaison, de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime, qualifie cette décision de « recul institutionnel » : cela isole encore davantage la police haïtienne et la mission kenyanne MSS.
- Gédéon Jean, expert haïtien des droits humains, met en garde contre un système de sécurité externalisé qui pourrait bien créer plus de dégâts que de progrès.
Potentiel de transformation… ou de dérive ?
Les Haïtiens, usés par l’anarchie permanente, semblent prêts à accepter des propositions radicales pour retrouver un semblant de paix. Mais l’alternative d’une armée privée internationale opérant sur le territoire national soulève des interrogations fondamentales :
- Qui contrôle Vectus ? Quelle reddition compte de ses actions ?
- Quel future pour la PNH, pour la MSS, pour les institutions juridiques ?
- Et si ce qui s’annonçait comme une solution devenait une source nouvelle de domination et de dépendance ?
Jake Johnston, auteur de Aid State: Elite Panic, Disaster Capitalism, and the Battle to Control Haiti, résume ce dilemme :
Les gens sont désespérés ; prêts à accepter l’impensable. Mais est-ce vraiment une solution ?
Contexte institutionnel fragile
Le président du Conseil présidentiel de transition, Laurent Saint-Cyr, installé début août, a appelé à plus de soutien international face aux gangs. Pourtant, aucun commentaire officiel sur ce contrat long terme n’a été formulé.
Pendant ce temps, la MSS (Mission multinationale d’appui à la sécurité), majoritairement kényane, reste faiblement dotée : moins de la moitié du personnel prévu est sur place, avec très peu de matériel livré.
Une solution désespérée, mais périlleuse
L’accord entre Erik Prince et Haïti représente à la fois un espoir et une menace. Il promet une fenêtre de sécurité là où l’État est absent, mais risque aussi de signer une dépendance durable à des forces privées non assujetties aux mécanismes démocratiques et transparents.
Pour qu’il ne devienne pas un piège institutionnel, Haïti et ses partenaires internationaux doivent veiller à :
- Encadrer ce contrat juridiquement, publiquement et avec extrême vigilance.
- Continuer à renforcer la MSS et la PNH pour qu’elles restent au cœur de la sécurité nationale.
- Garantir que les revenus collectés au nom de l’État profitent effectivement à la population et au développement.
Car la paix imposée par des mercenaires, sans légitimité institutionnelle, ne peut durer.